Notre industrie victime de politicailleries

Hier dans l’Opposition, la Coalition Avenir Québec poussait les libéraux à ne pas mettre fin au crédit fiscal RénoVert. Maintenant au pouvoir, elle a aboli le programme, prétendument associé à l’image d’un autre parti que le leur. Motivation politique qui n’a pas lieu d’être quand les intérêts suprêmes de l’activité socio-économique de toute la société est concernée.

J’ai écrit aujourd’hui à la fois à la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec et à ses collègues des Finances et de l’Économie et Innovation pour leur rappeler certains éléments fondamentaux.

Premièrement, notre industrie est encore la piteuse championne du travail au noir. Si la situation s’est améliorée du côté des restaurants et des bars avec des mesures de contrôle systématiques poussées par le gouvernement et si l’industrie du taxi se voit aussi forcée à se comporter autrement face à ses devoirs comme contribuable, le fléau demeure virulent chez nous.

À preuve, plus de 1000 dossiers sont acheminés bon an mal an au Directeur des poursuites criminelles et pénales pour du travail au noir dans le secteur de la construction, une évasion fiscale que Revenu Québec estime à plus de 1,5 milliard $ chaque année.

Le programme RénoVert oblige les citoyens à confier les travaux à des entrepreneurs licenciés. Certains de ceux-ci oseront tout de même employer des ouvriers illégaux, mais les risques à courir face à la vigilante Commission de la construction du Québec les font hésiter; en tout cas, plus que les consommateurs qui pensent en premier au beau-frère, sans se soucier des effets du travail souterrain.

Deuxièmement, RénoVert s’est démarqué en assujettissant les travaux à une finalité écologique et économique. On devient de plus en plus conscients que l’avenir de la planète passe par des matériaux et des technologies plus durables et moins énergivores. Dans la durée, une rénovation de qualité coûtera moins cher au propriétaire et contribuera à lutter contre les pertes d’énergie et le gaspillage. Souvent, il en résultera en prime un plus grand confort pour les occupants.

Sans crédit fiscal, hélas, le consommateur sera porté à aller au moins cher des matériaux qu’il trouvera; tout le monde y perd à ce jeu.

Troisièmement, le congé fiscal a eu un effet provocateur indéniable sur l’économie. L’AQMAT estime à 3 milliards $ la valeur des achats et des travaux commis par les proprios qui ont bénéficié de RénoVert jusqu’à son dernier souffle, le 31 mars 2019.

Notre calcul est simple et rationnel.

Selon les données de Revenu Québec, il y a eu 82 824 ménages qui ont bénéficié du programme en 2016 et 89 600 en 2017. Plus les mois passaient, plus nos centres de rénovation passaient le mot, les entrepreneurs en construction également, d’où une popularité croissante. Mais demeurons conservateurs et fixons le nombre de ménages à avoir utilisé RénoVert en 2018 à 89 600, soit le même que l’année précédente. Procédons de la même manière pour les trois mois de 2019 où le programme était encore en vigueur, ce qui nous fait ajouter 22 400 autres ménages bénéficiaires pour porter le grand total à 283 624 maisons rénovées écoénergétiquement en trois ans et quelque.

Les données disponibles à Revenu Québec pour les exercices 2016 et 2017 établissent à 10 856 $ la valeur moyenne des rénovations effectuées. Nous n’avons aucune raison de croire que cet estimé a fluctué en 2018 et 2019. Dès lors, il est mathématiquement probable que la valeur totale des achats et travaux encouragés par RénoVert ait dépassé les 3 milliards $.

Comme je l’écrivais aux ministres, additionnez cet investissement collectif de 3 milliards de dollars dans l’économie au revenu fiscal gagné par l’État en conséquence de plus d’emplois de travailleurs de la construction légaux pour effectuer ces travaux et à la perception de 299 millions $ en taxe de vente (TVQ) sur les matériaux achetés dans des quincailleries et centres de rénovation du Québec avant de décider ou non de reconduire un crédit fiscal semblable.

Et je n’ai même pas calculé l’effet financier et sociétal que des travaux effectués professionnellement et dans une perspective d’économie énergétique apportent à la lutte contre les gaz à effet de serre.

Il est vrai que l’État, de son côté, a accordé un congé fiscal : avec un crédit moyen de 1671 $ (toujours selon les stats de revenu Québec pour 2016-2017), le gouvernement a essuyé une perte qu’on peut établir à 474 millions $ suivant nos extrapolations jusqu’au 31 mars 2019.

Mais entre nous, est-ce vraiment un manque à gagner? N’eut été des avantages que leur promettait RénoVert, les 283 624 propriétaires résidentiels auraient-ils tous dépensé 10 856 $ pendant la même période? Qui plus est, auraient-ils procédé à l’achat de matériaux homologués Energy Star, GreenGuard, Ecologo, etc.? Auraient-ils confié l’installation à des professionnels s’il n’y avait pas eu d’incitatif?

Poser ces quatre questions, c’est s’assurer d’obtenir la réponse « non » à répétition.

Nous n’avons aucun indice à l’effet que le gouvernement aidera notre industrie. C’est pourquoi l’AQMAT va initier un mouvement pour exercer une pression sur la députation. Surveillez donc votre boîte de courriels.

En ce moment, le gouvernement rétorque que notre secteur va plutôt bien. C’est un fait. Mais ce Polaroïd est trompeur puisqu’on jouit encore des effets de RénoVert, car les consommateurs ont jusqu’à la fin de l’année pour terminer les travaux.

Jugeons donc avec plus de perspective, plus de vision.

Aidons le gouvernement à ne pas confondre construction de bâtiments institutionnels et grands chantiers publics, visibles avec leurs bals de grandes grues et les allers-retours de chariots téléscopiques avec le secteur résidentiel.

Les chantiers de maisons neuves seront moins nombreux et sans programme d’aide, la rénovation des logements existants ne pourra que piquer du nez.

Et si on ajoute le facteur météo qui affecte grandement l’achalandage dans les centres de rénovation et réduit les ventes dites de saisonnier, lesquelles ne sont pas rattrapables dans le temps, on peut, sans être prophète, prévoir des mois et des années maigres à venir.

En fait, si tout a bien été ici, c’est en bonne partie parce que RénoVert existait, et avant lui, LogiRénov.

Que le gouvernement de la CAQ rebaptise une mesure à ses couleurs, c’est de bonne guerre. Que ça ne tarde pas cependant…

Richard Darveau, président et chef de la direction
AQMAT

 

 

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