Ce fragile lien de confiance à rafistoler à cause des dommages pandémiques

Une dirigeante de centre de rénovation qui fait presque l’objet d’une mise en demeure, un directeur des ventes manufacturières forcé de négocier l’application de pénalités exigées de sa bannière, une enseigne de quincaillerie poursuivie pour perte de jouissance par un client. La cour est pleine de plaintes. Le coronavirus a exacerbé les tensions entre tout le monde. Chacun a le devoir de contribuer à calmer le jeu. 

Les « back order » hantent toute notre communauté d’affaires et éclate à la face des clients.  

Chacun tente de faire reposer sur l’autre la responsabilité des retards. Un journaliste a même presque réussi à me faire dire ce que je n’ai jamais pensé, à savoir que les quincailliers auraient dû être plus prévenants en début de crise. 

Ah ces gérants d’estrades! 

Le 8 mars, nous fêtions tous gaiement au Reine-Elizabeth à Montréal par un soir mémorable de gala. Fringants comme Ron Turcotte en selle sur  Secretariat à la conquête de la Triple couronne, nos membres trépignaient d’anticipation à l’arrivée du printemps et des bonnes affaires, d’autant que le blocus ferroviaire par les appuis aux droits des Premières nations semblait se démanteler. 

Une semaine plus tard, on apprenait le mot coronavirus. Deux semaines plus loin, au tour du mot COVID-19 d’envahir les téléjournaux.  

Notre printemps, que dis-je, notre Noël, venait de disparaître prématurément, tel ces mannes éphémères. 

Il n’en fallait pas plus pour convaincre les quincailleries de lever le pied sur les achats afin d’éviter la gestion d’invendus, donc de pertes. La prudence commandait aussi de ne pas trop recruter d’étudiants, des fois que la saison forte s’avérerait morte. 

Avril serait déserté, peut-être mai aussile monde se replierait. L’économie aussi. Et même si le premier ministre, à notre demande, accepta de placer les nôtres dans la catégorie des commerces essentiels à partir du 23 mars, personne, je dis bien PERSONNE n’a imaginé ce qui allait arriver. 

Et qu’est-ce donc qui est arrivé au juste? Le meilleur et le pire. 

Dans le coin du meilleur : une année record pour la plupart des quincailleries et centres de rénovation. « Record » dans le sens où Guinness l’entend. Ce pourrait être le paradis grâce aux mix gagnant suivant : moins de monde en magasin, meilleur ratio employé-client, facture moyenne doublée, voire triplée, frais directs gérables en termes de plexiglass et de personnel supplémentaire, croissance du chiffre d’affaires et des profits, naissance de parts réelles de marché dans le e-commerce.  

Mais le paradis voisine l’enfer, c’est connu. Si bien que dans le coin du pire, on se retrouve avec des magasins frustrés parce que non reconnus comme essentiels, un climat anxiogène alors qu’on improvise les premières mesures de désinfection et de distanciation sociale, des employés tentés par les programmes gouvernementaux, la pression découlant d’une renaissance du bricolage dans la maison-prison et exacerbée  par la réouverture des chantiers résidentiels (également demandée avec insistance par l’AQMAT et d’autres), la fermeture de plusieurs usines locales pendant trois à six semaines critiques doublée de la difficulté accrue d’obtenir des arrivages chinois en raison de la lutte à la COVID-19 et des mesures de quarantaine et de protection, s’en suit une congestion dans les transports par camion et la cerise sur le sundae, l’explosion au sens propre comme figuré des plateformes de commerce électronique ou de la logistique physique conséquente avec, à la clé, des ombres de poursuites devant les tribunaux et de bris permanents dans les relations entre transporteurs et distributeurs, fabricants et bannières, marchands et consommateurs, consommateurs et entrepreneurs. 

Tout un pathos pour un seul coupable : le temps. Ce temps qui manque, ironiquement, alors qu’on nous vante les mérites du ralentissement, voire du lâcher prise.  

L’impatience, l’irritation, l’incompréhension, la précipitation s’installent subrepticement dans toutes nos relations. Le stress est au plafond, la fatigue suit juste derrière. Or, quand l’empathie et ses vertus d’huiles essentielles cèdent le pas à l’apathie, à la reptilienne apathie, on se demande où aller et à quelle nouvelle vitesse…  

J’en appelle au sens du devoir. À nos colonnes vertébrales qu’on veut droites comme des principes. 

Marchands, fabricants, distributeurs, dirigeants de bannières et par extrapolation consommateurs et entrepreneurs, chacun doit absolument puiser dans ses ressources pédagogiques pour convaincre l’autre, les autres, qu’on vit une situation de « force majeure », pour emprunter au jargon des assureurs. 

Nous subissons à divers niveaux des relations d’affaires et de travail auxquelles on n’aurait jamais cru être confrontés.  

Pour plusieurs d’entre nousde simples incidents en temps normal dégénèrent au point de déboucher sur une incapacité à honorer ses engagementscontractuels comme moraux. 

Il faut savoir que le Code civil du Québec prévoit que toute personne, ce qui inclut une entreprise en qualité de personne morale, peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer. 

Cependant, lorsque l’exécution d’une obligation est toujours possible, mais plus onéreuse ou plus difficilele débiteur ne saurait alors se servir du coronavirus pour s’excuser et se laver les mains. 

Dans la même veine, je rappelle que l’article 1470 du Code civil n’exonère pas un fabricant de l’application des garanties sur ses produits.  

Autrement dit, les garanties offertes par les manufacturiers relatives à la qualité, à la sécurité, à la durabilité ainsi qu’à la conformité de ces biens continuent de s’appliquerpandémie ou pas.  

Je recommande à tous nos marchands membres qui transigent entre eux ou avec le public de stipuler une clause de force majeure et de bien la définir, ce qui signifie, dans le cas qui nous occupe, de référer spécifiquement à la crise sanitaire en cours. 

Voici ce que nous proposons à nos membres pour se protéger : 

« En raison de la situation de pandémie, le respect de votre commande spéciale ne peut être garanti et toute date de livraison doit être considérée comme approximative et susceptible de varier sans que nous n’en ayons aucun contrôleDans ces circonstances exceptionnelles, nous ne saurions être tenus responsables de tout dommage ou perte de jouissance qu’une éventuelle annulation qu’il nous faudrait appliquer de votre commande ou qu’un éventuel retard pourrait entraîner. Nous ne pouvons non plus assumer de responsabilités dans le cadre de réclamations de quelque nature en rapport avec sa livraison non effectuée ou effectuée en retard. » 

J’implore toutes les entreprises membres qui font affaire entre elles à faire preuve d’indulgence dans leurs relations. Plus particulièrement, si c’était possible : 

  • aux bannières : de ne pas appliquer leurs habituelles pénalités lorsque les fournisseurs ne peuvent livrer en temps; 
  • aux fournisseurs : de tenir informés leurs marchands de manière encore plus serrée qu’avant afin que ces derniers puissent garder la meilleure communication possible avec les consommateurs; 
  • aux marchands : d’afficher en magasin, sur les médias sociaux et sur toute pièce écrite une clause d’indemnisation.

C’est sur ces mots de prudence, mais aussi d’espoir que je pars en vacances. Partir n’est peut-être pas le bon verbe pour cet été particulier. 

J’en profite pour vous informer que votre infolettre fera pause pendant juillet, histoire que mon équipe, aux barricades et dans les tranchées comme vous depuis le jour où est arrivée cette nouvelle peste, retrouve aussi son souffle et ses forces… 

One comment on “Ce fragile lien de confiance à rafistoler à cause des dommages pandémiques

  1. France Forget on

    Richard, et toute l’équipe de L’AQMAT, merci pour cette mise en lumière bonifiée de votre analyse toujours claire et sans faille, ainsi que pour vos précieux conseils pour appuyer vos membres. Du grand art! Bonnes vacances et au plaisir!

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