
Se loger devient un parcours du combattant. Partout au Québec, les taux d’inoccupation demeurent sous la barre critique des 3 %. La tentation est grande de construire — vite et beaucoup. Mais dans plusieurs villes, les grues restent immobiles non pas par manque de volonté, mais par manque… de tuyaux. Les réseaux municipaux d’aqueduc et d’égout atteignent leurs limites. Résultat : des moratoires, des permis suspendus, et une pression qui monte (jeu de mots facile, désolé). Les chiffres donnent le vertige.
Selon le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU), la valeur de remplacement des infrastructures municipales en eau s’élève à 181,1 G$ (2023), dont 146,4 G$ pour les conduites souterraines seulement. Si l’on ajoute les chaussées au-dessus de ces conduites, on atteint 254,6 G$.
Même sans croissance, simplement remettre à niveau nos réseaux coûterait une fortune.
Et avec les changements climatiques, la facture grimpera encore : Ouranos estime que les municipalités devront investir environ 2 G$ par an d’ici 2055, pour un total de 75 G$ supplémentaires d’ici la fin du siècle.
Face à cette réalité, plusieurs municipalités imposent des moratoires pour éviter la surcharge de leurs systèmes. Ces interruptions freinent directement les mises en chantier, alimentant la pénurie de logements et ralentissant tout le secteur de la construction.
Investir dans l’eau, un pari payant
Une étude de Réseau Environnement estime qu’un ajout de 27 G$ en infrastructures d’eau pourrait générer 47 G$ de bénéfices économiques, sociaux et environnementaux sur 25 ans. Chaque dollar investi rapporte donc presque deux dollars en retombées.
Mais la modernisation des réseaux prend du temps. Et pendant que les pelles mécaniques attendent, les familles cherchent un toit. C’est ici qu’entre en jeu une autre voie : la rénovation.
Rénover, c’est construire autrement
Rénover le bâti existant — logements, plex, bâtiments locatifs — améliore la qualité de vie sans alourdir la charge des infrastructures municipales. Contrairement aux nouveaux quartiers, une rénovation n’exige ni prolongement d’aqueduc ni ajout d’égout, puisque le branchement existe déjà. En d’autres mots : chaque logement rénové est un logement récupéré, sans litre d’eau supplémentaire à traiter.
La rénovation résidentielle répond aussi à un impératif social. Les ménages les plus vulnérables sont souvent ceux qui souffrent le plus du manque de logements. Or, la construction neuve, avec ses coûts de matériaux et de financement, cible rarement les budgets modestes.
Moderniser l’existant — isolation, plomberie, efficacité énergétique, accessibilité — permet d’augmenter l’offre habitable réelle, sans aggraver la pression sur les réseaux ni sur les finances municipales.
C’est une logique gagnante pour les marchands : le marché de la rénovation est plus stable, moins dépendant des cycles de permis municipaux, et il s’alimente d’un besoin structurel : adapter un parc bâti vieillissant.
En moyenne, plus de 60 % des logements québécois ont plus de 40 ans, et une proportion significative requiert des travaux majeurs pour demeurer sécuritaires et performants.
Construire mieux, rénover plus
Le défi, ce n’est pas de construire à tout prix, mais de construire ce qu’il faut. Les nouvelles unités doivent viser en priorité les logements abordables et sociaux, car c’est là que la demande explose. En parallèle, les politiques publiques et les programmes d’aide devraient encourager les rénovations qui prolongent la vie des bâtiments existants, améliorent leur efficacité énergétique et réduisent les pertes d’eau.
Fabricants et centres de rénovation doivent focaliser leurs efforts communs pour favoriser des produits durables et à faible impact hydraulique : robinets à débit réduit, toilettes économes, systèmes de gestion de l’eau pluviale, matériaux pour la réhabilitation sans tranchée.
Selon les réalités locales, il est judicieux d’anticiper les fenêtres d’investissement : là où les municipalités planifient la réfection des réseaux, les chantiers neufs reviendront ; ailleurs, c’est la rénovation qui soutiendra l’activité.
Le chantier invisible
L’eau n’est pas visible, mais elle conditionne tout. Tant que les infrastructures municipales ne suivront pas, bâtir davantage restera un rêve contrarié. En revanche, entretenir, rénover, moderniser — voilà une stratégie qui permet au Québec de respirer pendant que l’on reconstruit ses fondations invisibles.
En somme, rénover, c’est bâtir du logement sans creuser de tranchées. Et pour les marchands de matériaux, c’est une occasion de marché durable, locale, et socialement essentielle : contribuer à loger mieux, sans surcharger les réseaux.
- Outils réglementaires municipaux incitatifs
- Zonage inclusif / mixte Autoriser (ou imposer) qu’un pourcentage (ex. 10-30 %) des unités dans les projets privés, surtout en zones à densité plus élevée, soit des logements abordables. Cela réduit le coût de terrain pour les promoteurs et intègre les logements subventionnés dans le tissu urbain.
- Bonification de densité en échange d’unités abordables Permettre aux promoteurs de construire avec plus d’étages ou d’unités que ce que la réglementation permet normalement, si une partie des unités est réservée à un loyer subventionné.
- Réductions ou abattements de normes (stationnements, retraits, densité minimale) Réduire les exigences de stationnement, les marges de recul, les exigences de terrain minimums lorsqu’un projet contient des logements abordables. Cela peut alléger les coûts de construction pour rendre le projet viable.
- Terrains municipaux disponibles / cessions à rabais Les municipalités peuvent mettre à disposition des terrains publics sous-utilisés, à bail ou à prix réduit, pour les projets de logements non marchands, ce qui réduit le coût d’acquisition pour les promoteurs.
- Financement, subventions et modèles partenariaux
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- PHAQ La subvention à la construction reste un modèle important pour la création de logements sociaux ; le Québec le met en œuvre via le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ).
- Financement à long terme à faible taux d’intérêt / garanties Des prêts à taux préférentiels, des garanties de prêt ou des fonds de préfinancement pour aider à la viabilité financière des projets de logement non marchand.
- Montages hybrides / “stacking” de subventions Réduction du poids de la dette par un partage des sources de financement (municipal, provincial, fédéral, organismes à but non lucratif), ce qui contrinue aussi à la viabilité sur le long terme.
- Planification, concept et insertion urbaine
- Étude des besoins et localisation stratégique Avant de lancer un projet, faire une étude de demande locale pour identifier les zones où le besoin de logements abordables est le plus élevé. Choisir des emplacements bien desservis par les transports en commun et les services publics pour maximiser l’accessibilité.
- Intégration à la trame urbaine Les logements non marchands doivent s’insérer dans le tissu urbain, éviter la concentration isolée, favoriser le mélange d’usage et d’échelles pour maintenir la mixité sociale.
- Modularité, phasage et dimensionnement réaliste Prévoir des phases de construction modulaires plutôt qu’un grand projet d’un seul coup. Cela permet aux promoteurs et municipalités de mieux étaler les coûts et de limiter les risques. Le dimensionnement doit être adapté à la capacité de gestion et d’entretien future.
- Normes durables et efficience énergétique Chaque logement abordable doit viser une performance énergétique élevée (isolation, ventilation, chauffage efficace) pour réduire les coûts opérationnels pour les locataires. Cela augmente l’attrait et la viabilité à long terme.
- Gouvernance, capacité et partenariats
- Promotion des organismes à but non lucratif (OSBL) / coopératives Encourager le rôle des OSBL et coopératives dans la construction, la gestion et l’exploitation des logements non marchands, car ils peuvent opérer selon des marges plus modestes et avec une finalité sociale et plus transparente.
- Accompagnement technique et expertise locale Les municipalités peuvent offrir du soutien aux promoteurs (aide à la conception, consultation, accès aux ingénieurs, simplification des processus) pour réduire les coûts de transaction.
- Partenariats publics-privés & mutualisation Créer des consortiums (municipalité + promoteur + OSBL + organismes communautaires) pour partager les risques, les coûts et les avantages.
- Gouvernance claire et engagement à long terme Pour rassurer les bailleurs de fonds et les investisseurs sociaux, établir des ententes pluriannuelles garantissant les loyers subventionnés sur 20 à 30 ans.
- Simplification & efficacité administrative
- Processus d’approbation accélérés / guichet unique Réduire les délais de permis et créer des guichets municipaux uniques pour les projets de logement abordable. Le Fonds pour accélérer la construction de logements identifie cette pratique comme une “pratique exemplaire”. cmhc-schl.gc.ca
- Révision des droits de développement / frais d’aménagement Examiner la structure des droits de développement (DCC ou redevances municipales) pour alléger la charge initiale sur les projets subventionnés.
- Normes de conception allégées Adapter certaines normes (ex : dimension minimale de couloirs, largeur de hall) pour les logements subventionnés, dans des marges de sécurité, afin de réduire les coûts superflus.
- Suivi, maintien et renouvellement
- Surveillance et évaluation continue Mettre en place des indicateurs : coût de construction, taux d’occupation, loyers réels payés, réhabilitation future. Cela permet d’ajuster les pratiques en cours de route.
- Rénovation du parc social existant Ne pas négliger la mise à niveau des logements subventionnés déjà existants (isolation, plomberie, accessibilité), pour éviter la perte d’unités habitables.
- Planification de l’entretien à long terme Assurer dès le début une réserve pour la réhabilitation future dans les budgets d’exploitation afin que les logements durent plusieurs décennies sans devenir inaccessibles à cause de la vétusté.
P’tit conseil de l’AQMAT : Je connais des marchands et des manufacturiers qui ont des disponibilités financières et veulent être utiles à leur communauté. S’investir dans un projet d’habitat social peut être une expression cohérente avec votre statut de citoyen corporatif. |