Le Blogue de Richard : Ce que Mark Carney a promis en habitation et en achat local

En campagne électorale et sur la plateforme du parti Libéral du Canada (PLC), on peut en apprendre beaucoup sur ce que le nouveau premier ministre du Canada et son équipe fraîchement élus ont promis à la population. Autant de dossiers à suivre et d’autres à provoquer.

Un demi-million de logements par année : faisable?

D’abord, en matière de construction résidentielle, le PLC a affiché un objectif ambitieux : doubler la cadence des chantiers pour atteindre 500 000 logements par année.

La promesse s’inscrit dans une volonté de répondre à la crise du logement au Canada. Cette ambition est en phase avec les besoins identifiés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui estime qu’il faudra 3,5 millions de logements supplémentaires d’ici 2030 pour rétablir l’abordabilité du marché immobilier canadien.

Cependant, des experts soulignent les défis importants à relever pour atteindre cet objectif. La SCHL prévoit qu’au rythme actuel, le parc immobilier canadien n’augmentera que de 2,3 millions d’unités d’ici 2030, laissant un déficit de 1,2 million de logements par rapport aux besoins estimés. Des économistes, comme Benjamin Tal de CIBC Marchés Mondiaux, estiment même que le besoin réel pourrait approcher les 5 millions de logements supplémentaires, en tenant compte de la croissance démographique et de l’immigration. Ce commentaire prend du poids quand on présume que des néo-Américains ou encore des intellectuels des Etats-Unis pourraient avoir des raisons de fuir le pays voisin pour choisir le Canada comme terre d’accueil.

Au cours des dix dernières années, le Canada a enregistré en moyenne environ 220 000 à 250 000 mises en chantier résidentielles par an, selon les données de la SCHL et de Statistique Canada. Monter à 500 000 semble relever de la pensée magique, mais on verra…

 

Maisons Canada : jusqu’à quel point avec des matériaux canadiens ?

Le plan de M. Carney, qui inclut la création de l’agence « Maisons Canada » et un investissement de 25 milliards de dollars pour soutenir la construction de maisons préfabriquées et modulaires, vise à accélérer la construction de logements abordables.

Si le programme spécifie clairement la « priorisation de l’utilisation de matériaux canadiens dans la construction de logements abordables », les textes consultés en campagne s’en tiennent à ceci : soutenir les constructeurs de maisons préfabriquées et modulaires, en mettant l’accent sur l’utilisation de ressources canadiennes, notamment le bois d’œuvre et le bois de construction.

Sur la plateforme du PLC, on va un peu plus loin du point de vue écologique : « bâtir de manière durable en donnant la priorité à des produits tels que les matériaux de construction durables, comme le bois certifié, le contenu recyclé et les matériaux à faible taux d’émission ».

Si le programme Maisons Canada intègre explicitement le principe de l’utilisation de matériaux canadiens dans ses initiatives de construction de logements abordables, rien n’indique que ce sont les produits accrédités « Bien fait ici » qui seront favorisés. Et cela est embêtant dans la mesure où ce programme est le seul soutenu par l’industrie et qui lie à la fois le critère de l’origine et celui de la conformité avec les codes et normes de construction.

 

Exonération de TPS

Troisième promesse de M. Carney : soutenir les premiers acheteurs d’une propriété avec une exonération de la TPS sur les maisons neuves ou rénovées de moins de 1 million $.

Certains analystes estiment que cette initiative pourrait alléger le fardeau financier des premiers acheteurs, en particulier dans des marchés immobiliers coûteux comme ceux de Toronto, Vancouver ou Montréal. L’économie potentielle de plusieurs milliers de dollars sur la TPS pourrait rendre l’accession à la propriété plus accessible pour les jeunes familles et les nouveaux acheteurs.

D’autres experts expriment des réserves quant à l’efficacité de cette mesure pour résoudre la crise du logement. Ils soulignent que, sans une augmentation substantielle de l’offre du parc immobilier, une telle exonération fiscale pourrait stimuler la demande et, par conséquent, faire grimper les prix des maisons. De plus, certains critiques notent que l’exonération de la TPS pourrait bénéficier de manière disproportionnée aux promoteurs immobiliers ou aux acheteurs dans des marchés déjà surévalués, plutôt qu’aux Canadiens ayant des besoins les plus pressants en matière de logement abordable.

 

Réduction des redevances municipales

La promesse de réduire de 50 % les redevances d’aménagement municipales pendant cinq ans pour stimuler la construction de logements collectifs a suscité des réactions variées parmi les experts et les journalistes.​

Voilà une mesure qui pourrait alléger les coûts pour les promoteurs immobiliers, rendant ainsi les projets de logements collectifs plus attractifs. En réduisant les frais d’aménagement, les promoteurs pourraient être incités à lancer davantage de projets, ce qui contribuerait à augmenter l’offre de logements, notamment dans les zones urbaines où la demande est forte. Cette initiative s’inscrit dans un plan plus large visant à doubler le taux de construction résidentielle pour atteindre 500 000 logements par an, en mettant l’accent sur la construction de logements abordables et la mobilisation de terrains publics.

Des réserves sont toutefois exprimées quant à l’efficacité de cette mesure, notamment du fait qu’une réduction des redevances pourrait entraîner une diminution des revenus municipaux, ce qui pourrait affecter le financement des infrastructures et des services publics nécessaires pour soutenir les nouveaux développements. Il est également noté que, sans mécanismes de contrôle appropriés, les économies réalisées par les promoteurs pourraient ne pas se traduire par une baisse des coûts pour les acheteurs ou les locataires.

De mon point de vue, cette mesure devrait être accompagnée de politiques garantissant que les logements construits soient réellement abordables et répondent aux besoins des populations locales. Il est également recommandé de surveiller l’impact de cette initiative sur les finances municipales et de s’assurer que les services publics ne soient pas compromis.

Je pense que la réduction des redevances d’aménagement municipales est perçue par certains comme un levier potentiel pour stimuler la construction de logements collectifs, mais elle soulève également des questions sur son efficacité à long terme et son impact sur les finances municipales.

 

Taux d’intérêt réduits pour des logements abordables

La promesse d’investir 10 milliards de dollars en prêts à faible taux d’intérêt pour stimuler la construction de logements abordables pourrait certainement alléger les coûts pour les promoteurs immobiliers, rendant ainsi les projets de logements abordables plus attractifs. En réduisant les frais d’emprunt, les promoteurs pourraient être incités à lancer davantage de projets, ce qui contribuerait à augmenter l’offre de logements, notamment dans les zones urbaines où la demande est forte. Cette approche s’inscrit dans la continuité du Programme de prêts pour la construction d’appartements (PPCA) de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui a déjà soutenu la création de plus de 56 000 logements locatifs et vise à en construire plus de 131 000 d’ici 2031-2032.

Les organismes de défense des droits des locataires expriment des réserves quant à l’efficacité de cette mesure. Sans mécanismes de contrôle appropriés, les économies réalisées par les promoteurs pourraient ne pas se traduire par une baisse des coûts pour les locataires. De plus, les prêts à faible taux d’intérêt pourraient bénéficier de manière disproportionnée aux promoteurs immobiliers plutôt qu’aux Canadiens ayant des besoins les plus pressants en matière de logement abordable. Par exemple, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a notamment exprimé des préoccupations concernant la prédominance des prêts par rapport aux subventions dans les programmes de logement abordable, soulignant que cela pourrait ne pas suffire à garantir l’abordabilité à long terme pour les locataires.

Pour satisfaire tout le monde, la mesure devrait être accompagnée de politiques garantissant que les logements construits soient réellement abordables et répondent aux besoins des populations locales. Il est également recommandé de surveiller l’impact de cette initiative sur les finances municipales et de s’assurer que les services publics ne soient pas compromis.

À noter qu’un logement est considéré comme abordable si le ménage y consacre moins de 30 % de son revenu brut (avant impôts) pour le loyer ou les frais mensuels d’habitation (incluant hypothèque, taxes, chauffage, etc.).

 

Charte des droits des acheteurs

La promesse d’instaurer une Charte des droits des acheteurs vise à rendre le processus d’achat immobilier plus équitable, transparent et accessible, en particulier pour les premiers acheteurs. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du Plan du Canada sur le logement, qui cherche à renforcer les protections des consommateurs dans un marché immobilier souvent perçu comme opaque et déséquilibré.

De nombreux experts en logement et défenseurs des consommateurs saluent cette initiative comme une étape importante vers une meilleure régulation du marché immobilier. La Charte propose plusieurs mesures concrètes, telles que :

  • une transparence accrue : accès facilité aux informations sur les titres de propriété, les rapports d’inspection, les prix de vente récents et les caractéristiques environnementales des propriétés;
  • un encadrement des pratiques de courtage : divulgation obligatoire des situations de double représentation (lorsqu’un agent représente à la fois l’acheteur et le vendeur), avec des mesures pour prévenir les conflits d’intérêts;
  • une équité dans les offres d’achat : promotion de pratiques d’enchères ouvertes pour éviter les surenchères non transparentes;
  • une protection des groupes vulnérables : adaptation des services pour les acheteurs issus de communautés autochtones ou de groupes en quête d’équité, et lutte contre la discrimination dans le processus d’achat

Selon moi, de telles mesures seraient des avancées significatives pour rétablir la confiance des consommateurs et favoriser une accessibilité accrue à la propriété.

Quelques écueils jonchent cependant le chemin jusqu’à l’implémentation d’une telle charte :

  • une compétence provinciale : la réglementation du secteur immobilier relève principalement des provinces et territoires. L’efficacité de la Charte dépendra donc de la collaboration intergouvernementale et de l’adhésion des juridictions locales;
  • son application concrète: sans mécanismes clairs de mise en œuvre et de sanctions, la Charte pourrait rester symbolique;
  • La complexité du marché : des mesures supplémentaires, telles qu’une meilleure régulation des pratiques spéculatives et une augmentation de l’offre de logements abordables, sont nécessaires pour résoudre les problèmes systémiques du marché immobilier, notamment un plafond limitant le nombre d’unité de logements qu’un promoteur privé pourrait posséder et opérer dans un marché donné.

La réussite de la Charte des droits des acheteurs proposée dépendra donc de la collaboration entre les différents niveaux de gouvernement, de la mise en place de mécanismes d’application efficaces et de son intégration dans une stratégie globale de rééquilibrage du marché du logement afin de le mettre plus à l’abris des spéculateurs sans scrupules… et aux poches profondes.

 

Un milliard $ pour des rénovations vertes

Enfin, la promesse d’investir 1 milliard de dollars pour soutenir la rénovation verte des habitations, notamment en finançant des rénovations écoénergétiques et la conversion des systèmes de chauffage vers l’électricité représente un pas important vers la décarbonation du secteur résidentiel. La conversion des systèmes de chauffage au mazout ou au gaz vers des solutions électriques, comme les thermopompes, est considérée comme une mesure efficace pour réduire les émissions de GES. De plus, les rénovations écoénergétiques peuvent améliorer le confort des habitations et réduire les factures d’énergie des ménages.

Toutefois, des réserves s’imposent quant à l’efficacité de la mesure si elle n’est pas accompagnée de mécanismes de suivi rigoureux : sans critères clairs et des audits énergétiques avant et après les rénovations, il pourrait être difficile de garantir que les fonds investis entraînent des réductions significatives des émissions.

De plus, des préoccupations sont soulevées concernant l’accessibilité de ces programmes pour les ménages à faible revenu, qui pourraient ne pas avoir les ressources nécessaires pour entreprendre des rénovations, même avec un soutien financier. On a déjà entendu cette chanson : les principes écologiques, c’est pour les riches!

Il est donc recommandé que cette initiative s’inscrive dans une stratégie plus large de transition énergétique, incluant des formations pour les professionnels du bâtiment, des incitatifs pour l’adoption de technologies vertes, et des partenariats avec les provinces et les municipalités pour maximiser l’impact des investissements.

Il est aussi fondamental que les règles soient les mêmes pour toutes les entreprises, sans possibiliser de négocier par en-dessous des exemptions ou reports d’application de règlements contraignants.

 

Conclusion

Avec l’abandon de la taxe carbone, la lutte contre les gaz à effet de serre (GES) perd un atout et l’atteinte de l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 devient impossible sans qu’une pression soit mise sur le secteur du bâtiment, et du bâtiment résidentiel en particulier.

Il faut savoir que le secteur résidentiel est responsable d’une part significative des émissions, principalement en raison du chauffage des bâtiments et de l’utilisation d’énergies fossiles comme le gaz naturel et le mazout, mais aussi à cause de l’emploi de matériaux sous-performants, d’une isolation inefficace, d’appareils énergivores et de techniques d’installation qui n’ont pas toujours évolué dans le sens de la protection des ressources.

Selon Environnement et Changement climatique Canada (inventaire officiel des GES 2024 pour l’année 2022) : sur les émissions totales du Canada (670 mégatonnes (Mt) de CO₂éq), le secteur des bâtiments (résidentiel + commercial) représentant 88 Mt de CO₂éq, soit 13 % du total national.

Le résidentiel seulement : environ 44 Mt, soit 6,5 % des émissions nationales.

Dans les provinces froides comme le Québec ou l’Alberta, le chauffage résidentiel peut représenter jusqu’à 60 % de la consommation énergétique des ménages.

Doivent être ciblés tant les nouvelles constructions par la mise en œuvre de normes obligatoires en matière d’efficacité énergétique que les bâtiments existants par des exigences accrues de rénovation énergétique et des mesures coercitives en cas de non-conformité.

 

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