Le blogue de Richard: Quand la croissance bute sur l’enjeu crucial de la main-d’œuvre immigrante

À Rivière-du-Loup, Lepage Millwork poursuit sa trajectoire de croissance ambitieuse dans l’industrie des portes et fenêtres haut de gamme. L’entreprise annonce un investissement majeur de 25 M$ pour consolider l’agrandissement de son usine du parc industriel, moderniser ses installations et renforcer la formation de ses équipes. Le gouvernement du Québec y contribue pour 14 M$, une aide historique pour l’entreprise fondée en 1947 et aujourd’hui présente sur les marchés canadien et américain.

Pourtant, derrière cette bonne nouvelle se cache une réalité beaucoup plus urgente, que la direction juge même critique : l’accès à la main-d’œuvre. Et plus particulièrement la capacité de l’entreprise à maintenir en poste ses travailleurs étrangers temporaires, qui jouent un rôle essentiel dans son organisation.

« La technologie n’a de sens que si elle permet à nos gens d’exprimer leur savoir-faire », rappelle le copropriétaire et directeur général, François-Xavier Bonneville.

Et c’est précisément là que le bât blesse.

Lepage Millwork emploie actuellement 520 personnes, dont 115 travailleurs étrangers. Or, les nouvelles réglementations fédérales resserrant l’accès et le renouvellement des permis de travail fragilisent directement l’équilibre opérationnel de l’entreprise.

Du côté de la direction, le ton n’est pas celui d’une revendication politique, mais celui d’un cri du cœur. Lors d’une intervention à l’Assemblée nationale la semaine dernière, François-Xavier Bonneville a voulu rappeler une évidence trop souvent absente des débats publics : sans continuité de main-d’œuvre, il n’y a pas de croissance; sans ces travailleurs qui se sont intégrés, formés et enracinés, il n’y a tout simplement pas d’opération possible.

« Si on ne leur donne pas la possibilité de rester, on freine les investissements, on perd notre savoir-faire et on affaiblit nos opérations. L’aide dont nous avons besoin est de conserver nos employés. »

François-Xavier Bonneville a lancé un cri du cœur au gouvernement fédéral depuis l’Assemblée nationale, à Québec. (Photo courtoisie)

Dans un contexte de rareté généralisée de main-d’œuvre en construction et en transformation du bois, Lepage Millwork n’est pas un cas isolé.

Plusieurs entreprises manufacturières du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord tirent la sonnette d’alarme depuis des mois. Les programmes d’immigration temporaire sont devenus indispensables, non seulement pour soutenir les opérations, mais aussi pour éviter le ralentissement de projets d’expansion pourtant stratégiques pour les régions.

Ce paradoxe — investir massivement dans la modernisation tout en risquant de manquer des bras pour faire tourner les équipements — illustre à quel point la compétitivité industrielle ne dépend plus seulement de la technologie ou du capital, mais d’un modèle durable et humain d’attraction, d’accueil et de stabilisation des talents.

L’agrandissement et la robotisation permettront à Lepage Millwork d’améliorer sa capacité de production, d’imaginer de nouveaux processus, de soutenir l’innovation et la personnalisation — des éléments clés sur les marchés premium nord-américains. Mais pour transformer ce potentiel en valeur réelle, l’entreprise devra pouvoir compter sur la continuité de ses équipes.

Dans ce dossier, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement fédéral. Et plus largement, dans celui de la société québécoise et canadienne, qui doit regarder en face la question : voulons-nous maintenir la vitalité de nos régions et la force de nos industries, ou accepter qu’elles s’effritent faute de reconnaissance envers celles et ceux qui y contribuent quotidiennement?

L’appel de Lepage Millwork mérite d’être entendu — non comme une plainte, mais comme un rappel que derrière chaque investissement structurant, la ressource la plus précieuse demeure l’humain.

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