J’observe depuis quelque temps une inquiétante accumulation de nuages au-dessus de notre filière bois. L’industrie canadienne du bois d’œuvre traverse ce que plusieurs qualifient de « tempête parfaite » : des droits compensateurs et antidumping américains démesurés, de nouvelles surtaxes, une chaîne d’approvisionnement ébranlée, et, surtout, une absence de vision claire à Ottawa.
Je le dis sans détour : si rien n’est fait, les répercussions dépasseront les scieries et atteindront directement les planchers, les panneaux et l’ensemble des matériaux qui se retrouvent dans les cours à bois et sur les chantiers du Québec.
Une pression tarifaire insoutenable
Aux États-Unis, le Department of Commerce a imposé aux producteurs canadiens des droits combinés dépassant les 35 %, parfois même plus selon les entreprises visées.
Selon des données déposées par le Canada, certaines firmes subissent un taux de 35,16 %, et des syndicats comme les United Steelworkers évoquent désormais des surtaxes totales de plus de 45 %.
Pour nos entreprises forestières, ces chiffres ne sont pas abstraits : ils représentent des millions de dollars en moins pour l’investissement, la modernisation et la création d’emplois. Et pour nos centres de rénovation et fabricants de matériaux, cela se traduit déjà par une hausse des coûts et une incertitude sur la disponibilité du bois.
Pourquoi cela nous concerne tous
Quand le bois d’œuvre québécois souffre, c’est toute la chaîne de valeur qui vacille.
- Les coûts montent. Les producteurs doivent absorber ou transférer une partie des surtaxes, ce qui finit par se répercuter sur les détaillants et sur le consommateur.
- L’approvisionnement local s’affaiblit. Si les scieries ralentissent ou ferment, c’est toute la logique du « bien fait ici » qui est fragilisée.
- Les délais s’allongent. Une chaîne d’approvisionnement désorganisée entraîne retards, substitutions et incertitudes — des mots qui font frémir tout gestionnaire de centre ou fabricant.
- Mais il y a aussi une opportunité. Si nous misons collectivement sur la transformation et la production locale, nous pouvons consolider notre autonomie et renforcer la résilience de notre secteur.
Une proposition raisonnable et responsable
Face à cette crise, l’industrie forestière québécoise a tendu la main à Ottawa avec une solution aussi simple qu’intelligente : que le gouvernement compense à hauteur de 50 % les droits compensateurs imposés par Washington.
Cette mesure ne serait pas un cadeau, mais un mécanisme « à coût nul » pour le Trésor public. Ottawa rachèterait une partie des droits déposés en réserve — des sommes qui lui seraient en grande partie restituées lors d’un futur règlement bilatéral, comme ce fut le cas en 2006, quand 80 % des montants perçus sont revenus dans les coffres des entreprises canadiennes.
« La démarche de rachat des créances futures à partir des droits compensatoires, c’est l’achat d’un actif que le gouvernement fait. Donc, c’est à coût nul. »
— Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois
Autrement dit, Ottawa ne paierait pas pour subventionner, mais pour préserver une filière économique vitale.
Notre solidarité doit s’exprimer
Comme président de l’AQMAT, je ne peux rester silencieux.
Chaque planche, chaque panneau, chaque poutre qui entre dans nos centres de rénovation dépend d’une chaîne d’approvisionnement robuste et équilibrée. Si un maillon cède, c’est tout le système qui craque.
« Il ne s’agit pas d’une aide au rabais, mais d’un investissement stratégique pour préserver l’ensemble de notre filière et garantir que les matériaux québécois continuent d’arriver à temps, à bon prix et de qualité. »
Nous savons que le gouvernement fédéral a déjà mis en place certaines garanties de prêts via la Banque de développement du Canada. C’est un pas, mais ce n’est pas suffisant. Les entreprises n’ont pas besoin d’un nouveau crédit : elles ont besoin qu’on leur redonne la moitié de leurs revenus détournés par des taxes injustifiées.
Ce que nous pouvons faire, ensemble
Nos membres — qu’ils soient détaillants, distributeurs ou fabricants — peuvent agir dès maintenant.
- Surveiller et anticiper les impacts sur les coûts et les stocks.
- Mettre de l’avant la provenance locale et leur mise en marché, notamment en poussant sur les produits accrédités « Bien fait ici ».
- Appuyer publiquement la proposition de compensation, via l’AQMAT et Bien fait ici, mais aussi avec le soutien des groupements d’achat.

- Explorer des alliances stratégiques avec des scieries et transformateurs du Québec pour sécuriser les approvisionnements


