
Le 5 octobre prochain marquera l’entrée en vigueur d’une nouvelle obligation issue du projet de loi 29, adopté en 2023 : la garantie de disponibilité. Cette mesure, qui s’inscrit dans la Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, impose aux détaillants et aux manufacturiers de remettre par écrit, chacun de leur côté, les informations concernant l’entretien, la réparation et la disponibilité des pièces des produits vendus.
En théorie, c’est séduisant. Dans la réalité des quincailleries, centres de rénovation et commerces de toutes tailles, c’est une tout autre histoire. Et comme président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux, je me dois d’alerter sur ce qui risque de devenir un cauchemar administratif pour des milliers d’entrepreneurs québécois — sans que les consommateurs en sortent réellement gagnants.
Interviewé par La Presse, Dominique Bélanger, propriétaire de la Quincaillerie C. Bélanger RONA sur la rue Masson à Montréal résumait ainsi la problématique : « Le détaillant ne pourra pas tout simplement remplir ce mandat-là. Il y a différents niveaux, ajoute-t-il. Il y a le fabricant, il y a le distributeur, il y a l’importateur et après ça, il y a les commerçants. On est dans la lignée de ce qui se produit en haut, mais on n’est pas nécessairement responsables de la façon dont les fournisseurs s’approvisionnent pour amener ces produits-là en tablette. Je vois mal comment on va remplir cette mission-là. »
Les intentions du législateur : louables, mais déconnectées du terrain
Je ne doute pas un instant des motivations du gouvernement. Qui pourrait s’opposer à la lutte contre l’obsolescence programmée ? Qui oserait contester l’idée que les citoyens devraient pouvoir prolonger la vie de leurs appareils, réduire le gaspillage et limiter les montagnes de déchets électroniques ?
Nous partageons tous cette volonté d’aller vers une consommation plus responsable. Mais il faut que les moyens soient adaptés.
Une loi ou un règlement se doit d’être formulé avec la plus grande clarté, afin de limiter les risques d’interprétation par les parties concernées. Or, il y a trois zones de flou ici.
- L’étendue des produits assujettis aux nouvelles règles n’est pas précisée, ni en termes de typologies de produits, ni en gammes de prix, rien. Est-ce qu’une simple paire de ciseaux à 10 dollars peut briser? Est-ce que le marchand doit disposer des pièces pour ce faire? De l’avis du consommateur lésé, sans doute que oui. L’Office de la protection du consommateur (OPC) soutient qu’elles s’appliquent à « tout bien dont l’usage peut nécessiter l’entretien, le nettoyage ou le remplacement d’une pièce ». À part un 2×4, ça couvre pas mal tout ce qu’on vend, non? Et si nous commettons une erreur d’interprétation, quelles en seront les conséquences ? Quel enfer relationnel en perspective!
- La loi dit que les pièces et les réparations doivent être offertes à un prix raisonnable. Mais ce que signifie ce vocable peut varier d’une personne à l’autre. Est-ce que 150 $ pour une pièce de tondeuse payée 350 $ est raisonnable? Tout dépend, n’est-ce pas. Donc, bonjour les obstinations!
- Le troisième flou juridique réfère à la durée. La nouvelle règle impose au marchand de conserver des pièces de rechange et un service de réparation pendant un temps raisonnable. Ce même mot revient encore, avec tout ce qu’il transporte de débats en puissance.
Comme je l’ai dit en ondes hier au 98,5 FM à l’émission coanimée par Nathalie Normandeau et Luc Ferrandez : « Le gouvernement voudrait encourager les gens à acheter en ligne sur Amazon plutôt qu’en magasin physique qu’il ne s’y prendrait pas mieux! On peut écouter ici l’entrevue de quelques minutes.
On se sent coincés dans une trappe, quoi qu’on fasse. Si le marchand veut respecter la loi, il va mourir sous la paperasse ou l’angoisse de poursuites des consommateurs. S’il veut s’y soustraire, il doit faire signer un document où le client lira qu’ici, nous ne vous offrons pas de pièces de rechange ni de service de réparation. Imaginez la tête du client et ce qui se passera dans celle-ci. Des questions du genre : « Hmmm, peut-être que le produit n’est pas de qualité pour que le magasin prenne ainsi ses distances » ou « Tu parles d’un marchand pas fin! ».
Par ailleurs, le règlement exige que le manufacturier produise un document et que le détaillant produise un document parallèle. Les deux disent à peu près la même chose, mais chacun doit prendre l’engagement de son côté.
Résultat ? Une duplication inutile, qui multiplie les coûts et la paperasse. Pour une grande bannière qui vend des dizaines de milliers de produits, c’est logistiquement insoutenable. Michel Rochette, du Conseil canadien du commerce de détail, a donné un exemple parlant : un Canadian Tire peut offrir jusqu’à 70 000 produits uniques. Imaginez : il faudrait que chaque magasin conserve et distribue autant de feuillets différents, en plus de ceux fournis par les fabricants. Des millions de papiers imprimés pour tout le Québec. Absurde.
Et qu’en est-il des petites quincailleries familiales ? Impossible d’absorber ce fardeau sans sacrifier du temps précieux qu’on préfère consacrer à servir le client.
Des sanctions qui inquiètent
Les commerçants qui ne respecteront pas ces nouvelles règles s’exposent à des sanctions administratives de 3 500 $ par jour, sans compter des amendes pénales pouvant atteindre 175 000 $ par chef d’accusation.
Autrement dit, un petit détaillant qui commet une erreur d’appréciation — par exemple en jugeant qu’un produit ne requiert pas d’information spécifique — pourrait se retrouver avec une amende astronomique, sans intention de mal faire. C’est comme si on mettait sur le même pied un fraudeur volontaire et un quincaillier débordé qui tente simplement de suivre la loi.
Il ne faut pas croire que seuls les détaillants trinquent. Les manufacturiers sont eux aussi soumis à la règle et doivent produire leur propre documentation, en parallèle à celle du commerce. Résultat : des doublons, des incohérences potentielles, et surtout une inflation bureaucratique qui ne profite à personne.
Pour une grande multinationale, c’est une ligne de plus dans son budget. Mais pour un petit fabricant local, qui peine déjà à rivaliser avec les géants, c’est une contrainte supplémentaire qui risque de freiner son développement.
Et le consommateur dans tout cela ?
Finalement, est-ce que le consommateur sortira vraiment gagnant ?
Oui, il aura plus d’information. Mais soyons réalistes : dans bien des cas, le coût d’une réparation dépasse celui du remplacement. On ne répare pas un grille-pain parce qu’on ne trouve pas la pièce, mais parce qu’une pièce coûte souvent plus cher que l’appareil lui-même.
De plus, imaginez l’expérience d’achat. Le client qui se présente en quincaillerie risque de repartir avec une pile de documents imprimés pour chaque petit article acheté. Croyez-vous vraiment que cette avalanche d’information servira l’objectif d’un meilleur choix éclairé ? Il est bien plus probable qu’elle finisse au recyclage… à l’opposé même de l’intention écologique initiale.
Ce que nous proposons en sept points À l’AQMAT, nous ne sommes pas opposés au principe. Mais nous demandons des ajustements concrets pour rendre cette garantie applicable et utile :
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Cliquez ici pour voir la capsule d’information de l’Office de protection du consommateur.