Construction résidentielle : la grève perdure et la partie syndicale refuse toujours l’arbitrage

Depuis le 28 mai, les chantiers résidentiels du Québec sont à l’arrêt, frappés par une grève générale illimitée déclenchée par l’Alliance syndicale de la construction. Le cœur du litige : le renouvellement de la convention collective 2025-2029, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de besoins historiques en construction de logements.

Dans une tentative de désamorcer le conflit, le ministre Boulet a suggéré dès les premiers jours de la grève un recours à la médiation-arbitrage. Cette procédure permettrait à un tiers neutre d’imposer une solution après avoir entendu les arguments des deux parties, ce qui, en théorie, accélérerait la résolution. L’APCHQ, qui représente les employeurs du secteur résidentiel, a accepté l’idée. L’Alliance syndicale, cependant, a catégoriquement refusé.

Selon l’Alliance, l’arbitrage revient à se départir du rapport de force légitimement exercé par les travailleurs dans le cadre d’une négociation. Elle juge que cette avenue ne tiendrait pas suffisamment compte des réalités du terrain, notamment les conditions souvent plus exigeantes du secteur résidentiel comparé à d’autres sphères de la construction. Elle accuse aussi l’APCHQ de vouloir contourner la négociation pour imposer un règlement défavorable.

Ainsi, le statu quo demeure, et l’arbitrage est mis de côté. La seule voie envisageable désormais reste la négociation directe, un processus actuellement au point mort malgré des discussions qui se poursuivent sporadiquement.

Retour sur les origines du conflit

La convention collective du secteur résidentiel arrivait à échéance le 30 avril 2025. Dès l’hiver, les négociations avaient débuté, mais elles ont rapidement buté sur la question centrale des conditions salariales. L’Alliance syndicale — composée de cinq centrales syndicales majeures (FTQ-Construction, CSN-Construction, CSD-Construction, SQC et le Conseil provincial des métiers de la construction) — a présenté une offre finale le 21 mai.

Elle proposait une augmentation salariale de 24,35 % sur quatre ans pour le résidentiel léger, et de 22 % pour le résidentiel lourd. Selon les syndicats, ces ajustements sont nécessaires pour enrayer la perte d’attractivité du secteur, qui peine à recruter et à retenir ses travailleurs, souvent attirés par de meilleures conditions dans les autres secteurs de l’industrie. L’Alliance souhaitait également que cette offre soit soumise au vote des membres de l’APCHQ, comme le permet l’article 44.1 de la Loi R-20 sur le régime de négociation dans l’industrie de la construction.

L’APCHQ a refusé cette proposition. Elle a qualifié l’offre de « déraisonnable », prévenant qu’une telle hausse des coûts salariaux entraînerait une augmentation moyenne de 55 000 $ du prix des nouvelles habitations, ce qui aggraverait la crise actuelle de l’accessibilité à la propriété au Québec. Elle a plutôt déposé une contre-offre jugée insuffisante par l’Alliance syndicale, qui a répliqué en déclenchant une grève générale illimitée à compter du 28 mai, à 00h01.

Une semaine de grève et des effets visibles

Depuis le début du conflit, plus de 800 chantiers résidentiels sont paralysés dans la province. Les manifestations se sont multipliées, notamment devant les bureaux de l’APCHQ à Anjou. Les travailleurs grévistes réclament non seulement une rémunération équitable, mais aussi une reconnaissance du travail plus ardu et moins stable du résidentiel, souvent effectué à la pièce ou dans des conditions météo difficiles, et sans les primes associées à d’autres secteurs (institutionnel, commercial, industriel).

L’Alliance insiste sur le fait que des ententes équivalentes à ses demandes ont déjà été conclues dans d’autres secteurs de l’industrie. Elle accuse l’APCHQ d’entretenir un double standard au détriment des travailleurs résidentiels.

De son côté, l’APCHQ souligne que depuis le 9 avril, l’Alliance n’a pas modifié son offre initiale. Elle a mis sur pied un comité de travail restreint pour explorer des solutions de compromis, qui s’est réuni le 4 juin. Elle affirme rester ouverte à des discussions « dans le respect de la capacité de payer des acheteurs de maisons ». Toutefois, aucune avancée concrète n’a encore été rapportée.

Une pression croissante

« La grève arrive à un moment critique », estime Richard Darveau, président de l’AQMAT. « Le Québec fait face à une importante crise du logement et le ralentissement des chantiers risque d’aggraver cette situation, en retardant les livraisons prévues pour l’automne et l’hiver 2025. »

Les promoteurs immobiliers, les entrepreneurs et les consommateurs commencent à exprimer leur impatience. Certaines voix dans le milieu des affaires appellent déjà à une loi spéciale pour forcer un retour au travail, ce que le ministre Boulet n’a pas encore évoqué publiquement. Ce dernier continue à privilégier la voie de la négociation et appelle à la responsabilité des parties.

Un conflit révélateur

Au-delà de l’impasse actuelle, le conflit révèle des tensions plus profondes dans le secteur de la construction résidentielle. Alors que l’industrie évolue rapidement, que les coûts explosent et que la main-d’œuvre se raréfie, les modèles de rémunération et de gestion n’ont pas suivi au même rythme. Le résidentiel, longtemps perçu comme une porte d’entrée vers d’autres sphères de la construction, est aujourd’hui un segment fragilisé qui peine à se faire reconnaître à sa juste valeur.

Et maintenant?

À ce stade, le conflit semble enlisé. La voie de l’arbitrage est bloquée, les discussions stagnent, et le gouvernement reste en retrait. Si aucun compromis n’est trouvé dans les prochains jours, la pression politique et publique pourrait s’intensifier, menant possiblement à une intervention législative.

Pour l’heure, les travailleurs continuent de manifester leur mécontentement sur le terrain, et l’APCHQ poursuit ses démarches pour rallier l’opinion publique à sa cause. L’issue du conflit dépendra de la capacité des deux parties à faire un pas vers l’autre, dans un esprit de respect mutuel — et peut-être d’un peu plus d’écoute que ce que les dernières semaines ont permis.

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