L’inflation altère notre (nouveau) rapport avec la maison

Nous essuyons plusieurs contrecoups de la pandémie. En revanche, des transformations durables sont notées dans notre manière de vivre, dans notre perception du bonheur. Si nous ne voyagerons plus autant et différemment, si nous choisissons avec plus de parcimonie nos aliments et nos loisirs, c’est notre rapport avec le travail et le transport qui s’est le plus modifié. Principalement parce que, pour une frange importante de la population active, le télétravail devient possible. Que dis-je, il devient recherché.

Partant du fait qu’on vit plus souvent à la maison qu’avant, le bâtiment résidentiel continue à être l’objet d’activités intenses de mises en chantier, de travaux de rénovation et d’entretien, nonobstant une inflation plus grande que celle subie dans tout autre secteur d’activité.

En effet, construire une maison au Québec coûtait de 15 à 20 % plus cher au premier trimestre 2022 qu’à la même période en 2021. Bien que le bilan du trimestre avril-mai-juin ne peut être dressé, tout indique que le coulage de fondations de maisons affichera des nombres plus élevés qu’au même trimestre de l’an dernier. Des statistiques, donc, qui demeureront à l’avenant par rapport à la moyenne des constructions printanières des dix dernières années.

Si on transposait les ventes de nouvelles maisons en dollars, on constaterait que du côté des condos, dont les mises en chantier sont plus nombreuses que l’an passé à pareille date, la valeur des transactions est en hausse par rapport à l’an passé et à la moyenne de la décennie, cela en raison du prix de vente soufflé par la surenchère et les coûts inflationnistes des matériaux.

Pour les unifamiliales, le portrait est moins simple. Environ un tiers sortent de terre en moins cette année par rapport à l’an passé, mais la taille des maisons et le prix de vente moyen de ces résidences font que les données, lorsqu’exprimées en dollars, reflètent un marché encore à l’avantage des constructeurs… et des gouvernements qui en récoltent leur quote-part fiscale.

Idem pour les rénovations. La frénésie du citoyen confiné est bel et bien derrière nous, avec cette drôle d’équation triangulaire où un manque d’espace jumelé à un surplus de temps et d’argent avait donné naissance à l’Homo Bricolus. N’empêche, à coups de retraites hâtives, de mode de travail hybride, d’éclatement des horaires de type 9 à 5, nos bungalows, nos condos et nos chalets continuent d’être agrandis, modernisés, décorés et sécurisés.

On connaît l’indice du BigMac. Inventons celui du contreplaqué. Quand cet incontournable plywood a dépassé les 100 $, soit trois fois le prix, au début, le consommateur s’est fait hésitant. Bien qu’il se vende actuellement autour de 75 $, la pilule passe.

L’entrepreneur en construction vous annonce qu’il ne pourra livrer à temps, même qu’un retard de plusieurs semaines se dessine ? Pas de problème ici non plus. Le public maugrée, mais n’annule pas pour autant. On va l’attendre.

Le loyer augmente de 10 % ? Le locataire sera mécontent, inquiet pour son budget. Mais puisque 99 % des appartements acceptables sont déjà occupés dans sa région, il va se résigner.

C’est qu’être logé, se sentir bien chez soi, sans aller jusqu’à dire que cela n’a pas de prix, disons que les citoyens sont prêts à endurer des prix forts et des reports de délais beaucoup plus qu’avant.

Être bien chez toi est devenu tout, sauf un luxe. Ça coûtera (presque) ce que ça coûtera !

Notre secteur finira-t-il par être lui aussi atteint par le spectre d’une récession ?

Plusieurs des facteurs qui entretiennent un déséquilibre entre l’offre et la demande, avec pour effet des prix élevés et des bris d’approvisionnements, devraient s’estomper au fil des mois qui viennent, préparant un printemps ou un été 2023 franchement au ralenti en termes d’activités de construction et de rénovation résidentielles.

D’abord, les consommateurs sont à la veille de jeter les armes et les outils ou de négocier des reports des travaux commandés à un entrepreneur en raison d’un portefeuille miné par la mort annoncée des prêts qui flirtaient avec le zéro intérêt et d’une inflation qui touche la barre des 7 % sans être accompagnée de la certitude qu’il s’agit d’un plafond ni d’un mauvais moment à passer.

Puis risquons une lapalissade : une fois la salle de bain rénovée, est-ce qu’on se relance tout de suite dans l’aventure ?

D’autre part, la relance post-COVID soutenue à bout de bras par tous les paliers de gouvernement est appelée à subir des pressions de deux ordres aux fins que les États participent à une régularisation du prix des matériaux plutôt que de mettre de l’huile sur le feu. On peut en effet penser que d’augmenter le pouvoir d’achat par des chèques ou des baisses d’impôt ne sera plus à l’agenda une fois les promesses électorales passées et que lever le pied sur les grands projets d’immobilisations deviendra encouragé.

Il demeure un électron non contrôlable, l’explosion du prix des produits pétroliers. Dommage collatéral de l’invasion russe et de la crise sanitaire, elle grève non seulement le transport des matériaux et les déplacements de tous les travailleurs engagés dans la rénovation et la construction de bâtiments, mais aussi et surtout la fabrication des matériaux ; au moins 1500 produits communément présents dans toute maison comportent du pétrole, sous différentes déclinaisons. Il y en a entre autres dans les scellants et les lubrifiants, le goudron et l’asphalte, dans les matières plastiques dont les portes et fenêtres et la vaste famille des thermoplastiques, dans les caoutchoucs synthétiques, dans les colles, la peinture et la teinture, les résines, dans les matériaux composites, etc.

Par exemple, un seul mètre cube de béton contient plus de 11 litres de diesel. D’où des augmentations historiques de ce matériau si important dans toute construction qui, en temps normal, ne varie que de 5 % maximum par année.

En additionnant l’embargo sur plusieurs minéraux provenant de Russie ou de Biélorussie, dont le cuivre, mais aussi plusieurs essences de bois utilisés en construction, aux impacts du confinement prolongé dans des épicentres de production industrielle comme la ville chinoise de Shanghaï, il est raisonnable de croire que des baisses drastiques de prix dans notre secteur d’activité ne sont pas pour demain. Ni après-demain.

Cela étant, avec des consommateurs de nouveau libres et éparpillés dans leurs activités, des gouvernements délaissant la bataille COVID pour la vraie guerre, la climatique, la demande en matériaux et en main-d’œuvre de construction devrait se rapprocher des moyennes habituelles, ce qui réduira la pression sur les prix et les délais.

D’ailleurs, le prix du bois d’œuvre résineux, un bon indicateur de l’activité immobilière, se stabilise sur les marchés boursiers nord-américains. Les observateurs semblent croire que les montées de prix vertigineuses suivies de rapides descentes distordant le marché deviendraient de moins en moins extrêmes.

Dans la même veine, les retards de livraison qui affligent l’industrie forestière depuis plus de six mois semblent s’amenuiser ; les clients reçoivent leurs commandes dans un délai plus normal.

Le marché étant continental, observons toutefois que le rythme de la construction résidentielle aux États-Unis, de l’ordre de 1,6 million d’unités levant de terre ou sous permis, dépasse un record d’activité vieux de 50 ans !

Bref, dans mon choix de titre pour ce blogue, le seul mot important est celui mis entre parenthèses : tout est si nouveau, si changeant que bien intrépide est celui qui prédira à long terme ce que seront les chiffres d’affaires et les bénéfices des centres de rénovation, des fabricants et des entrepreneurs en construction et en rénovation.

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