Le cercle vertueux d’un logement décent

Voici l’ultime blogue du président de l’AQMAT pour l’année 2022 qui se termine. Noël étant un moment de partage, il aborde ici le caractère social, pour ne pas dire sociétal du logement.

« Plus un citoyen est pauvre, moins il consomme des biens et plus il a besoin de services de l’État. L’image d’un cercle vicieux s’impose alors, avec des cas d’anxiété financière et de fragilisation mentale, d’insécurité alimentaire, de décrochage scolaire, voire de criminalité.

Il y a un trop important contingent de la population québécoise, locataires et propriétaires confondus, qui doit consacrer plus de 30 % du revenu du ménage à se loger.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Le marché locatif, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, a progressé un peu plus vite, de quelques pourcentages, que le revenu disponible des ménages.

En vérité, l’écart est beaucoup plus grand que ce que l’oracle affirme du fait que la croissance des loyers mensuels inoccupés a été nettement plus importante que celle des loyers occupés. Et ce qui doit nous intéresser comme société, ce n’est pas ce que paie la famille Tremblay résidant au même logement depuis vingt ans, c’est le stock disponible.

Par exemple, à Laval, le loyer moyen se situe à 955 $. Mais si on isole le coût des logements disponibles, il est de 1 217 $, un écart de 27 % avec les statistiques officielles présentées par la SCHL.

Préoccupons-nous du nombre croissant de concitoyens qui doivent se reloger pour cause d’agrandissement de la famille, de leur état de nouveaux immigrants, d’une séparation, d’une relocalisation d’emploi… sans avoir les moyens de le faire.

C’est ce déséquilibre entre l’offre et la demande qui alimente la croissance fulgurante des coûts de l’habitation et place de nombreuses familles devant des choix impossibles. 

Fait étonnant : les ménages à revenu faible ou modeste sont plus susceptibles que les mieux nantis de consommer localement lorsque leur pouvoir d’achat augmente.

Environ 1,5 million de ménages canadiens vivent dans des lieux qu’ils jugent inabordables et inadéquats sans pouvoir se permettre de se reloger ailleurs.

À ce sujet, les limites des rapports de la SCHL s’illustrent encore par le fait qu’ils ne couvrent que les données relatives aux municipalités de moins de 10 000 habitants. Certaines régions administratives, comme la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine ou le Bas-du-Fleuve, sont essentiellement composées de villages de quelques centaines ou quelques milliers d’âmes où le taux d’inoccupation frôle le 0 %.

D’un point de vue économique, des logements inabordables et inadéquats peuvent compromettre la croissance et l’attractivité de nos municipalités. La diversité de la population est importante et contribue à la capacité qu’a une ville d’attirer les talents. Pour les municipalités, le logement abordable peut soutenir la revitalisation des quartiers, l’élargissement de l’assiette fiscale et la rentabilisation des infrastructures. Il va de soi que la construction et la remise en état de logements abordables créent des emplois dans le domaine de la construction. Selon une étude de nos collègues américains (NAHB), la construction de 100 logements abordables pour les familles dans le cadre d’un programme de crédit d’impôt pour le logement à faible revenu peut mener à la création de plus de 120 emplois, en moyenne, pendant la phase de construction d’un projet. Plus important encore, longtemps après l’occupation des maisons, l’effet d’entraînement des résidents de ces nouvelles unités peut soutenir jusqu’à 30 nouveaux emplois dans un large éventail d’industries, y compris le commerce de détail, les soins de santé et l’administration locale. La NAHB estime que 100 logements abordables pour les familles génèrent le même montant de revenus ponctuels pour les secteurs de compétence qu’une propriété comparable au taux du marché – environ 827 000 $ en moyenne – dont plus de la moitié provient des frais de permis et d’impact et des frais d’utilisation des services publics. De plus, des recherches récentes suggèrent que les ménages à revenu faible ou modique qui participent à des programmes d’accès à la propriété abordables présentent un risque de défaut de paiement beaucoup plus faible que les acheteurs semblables qui ont des prêts à risque.

Les maisons abandonnées impactent aussi les impôts fonciers, les revenus des services publics et d’autres taxes et frais que les administrations perçoivent habituellement. Il est également bien documenté que les logements vacants peuvent avoir une incidence sur la valeur des maisons à proximité, ce qui réduit davantage les recettes fiscales foncières. De nombreux employeurs ont signalé que le manque de logements abordables rend plus difficiles – et donc plus coûteux – le recrutement et le maintien en poste des employés, une situation que subissent plusieurs de nos quincailleries et usines situées en région. Donc, du point de vue de l’employeur, le manque de logements abordables qui semble à première vue un problème ne touchant que les marginaux peut désavantager l’économie locale. Nos entreprises, dans la métropole comme dans les régions, devraient donc bénéficier d’une part de la main-d’œuvre qu’ils nécessitent et d’autre part du pouvoir d’achat de ces consommateurs par une meilleure disponibilité de logements abordables.

Bien que l’ONU ait reconnu pour la première fois le droit au logement dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, que l’organisme ait, depuis, réaffirmé le droit au logement dans sept traités fondamentaux relatifs aux droits de la personne, le droit au logement au Canada n’est pas enchâssé dans la constitution canadienne, non plus stipulé dans la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. Le Canada ne fait même pas partie des pays qui prévoient ce droit pour certains groupes de personnes, comme les familles à faible revenu.

Les logements abordables, c’est justement ceux que peuvent se payer les employés pour les postes que vous avez à combler.

Il est vrai qu’une loi fédérale dite Stratégie nationale du logement reconnaît la prépondérance du droit international et stipule que le logement revêt un caractère essentiel pour la dignité inhérente à la personne humaine et pour son bien-être, ainsi que pour l’établissement de collectivités viables et ouvertes. Mais on est loin des obligations qui lient les États signataires d’un « droit au logement », notamment celles de prendre des mesures pour protéger leur population contre la discrimination en matière de logement, d’élaborer des lois et des plans d’action spécifiques, de prévenir les expulsions forcées et de garantir à toute personne un certain degré de sécurité d’occupation. Et on est encore plus loin des précisions vénézuéliennes où ce droit est qualifié ainsi : « un logement convenable, sûr, confortable et hygiénique ».

Selon un récent sondage publié par Habitat pour l’humanité Canada, 40 % des Canadiens sont préoccupés par le paiement de leur hypothèque ou de leur loyer au cours des 12 prochains mois. Les données concernant le Québec démontrent que :

  • 86 % des Montréalais estiment que les logements de leur quartier sont inabordables – le pourcentage le plus élevé par rapport au reste du Canada (moyenne nationale 74 %);
  • 93 % sont d’accord pour dire qu’il y a une pénurie de logements abordables au Canada (moyenne nationale de 90 %);
  • 74 % des résidents de Montréal craignent de devoir consacrer moins d’argent à la nourriture, à l’épargne, aux frais de transport et/ou au remboursement de leurs dettes pour pouvoir continuer à payer leur logement actuel.

Les trois quarts des Canadiens (75 %) croient qu’un plus grand nombre de logements abordables pourrait résoudre les problèmes sociaux auxquels nous sommes actuellement confrontés en tant que pays, et malgré les préoccupations et les obstacles croissants à l’accession à la propriété, la majorité des Canadiens (87 %) considèrent que la possession d’une maison peut créer une plus grande stabilité dans la vie.

En outre, 60 % des Canadiens interrogés conviennent que la propriété peut améliorer les possibilités d’éducation pour eux-mêmes et leur famille et 73 % conviennent que la propriété peut renforcer les liens avec leur communauté. L’APCHQ propose des actions structurantes pour développer une offre résidentielle suffisante répondant aux besoins de la population. En ce sens, l’Association souhaite réitérer l’importance de deux mesures visant à faciliter et accélérer l’adoption de projets résidentiels :

  • il est impératif de maximiser les situations de « plein droit » et bonifier les seuils de densification ;
  • l’adoption, par les Villes, de politiques d’allègement réglementaire et de cibles de réduction des délais d’approbation de permis qui ont un effet tangible sur l’abordabilité.

Le droit de se loger ne fait pas partie de la Constitution ni de la Charte des droits,

mais une stratégie fédérale reconnaît le droit à un logement convenable en tant que droit humain fondamental

Par son caractère essentiel, l’habitation influence le bien-être des individus ainsi que celui des communautés. Puisque c’est la période d’exprimer ses voeux, je souhaite qu’on envisage en 2023 un cercle vertueux où les citoyens consacreront moins de leur revenu à payer leur loyer pour ainsi consommer des biens et des services aptes à prendre soin d’eux et des autres… et ainsi réduire l’utilisation du fameux filet social – dont les urgences dans les hôpitaux – que nous payons tous, proportionnellement à nos revenus (sauf quelques évadés fiscaux). »

 

Richard Darveau

Président, AQMAT

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