Ce gypse non recyclable transformé en compost ?

Sur le site de l’ancienne usine de tuyaux de cuivre Wolverine, fermée en 2007 après plus de 70 ans d’activité dans Montréal-Est, l’entreprise de solutions environnementales SANEXEN opère le premier centre de traitement de matières fines en Amérique du Nord, dont le gypse, provenant des secteurs de la construction, de la rénovation et de la démolition, ces « déchets » devenus un fléau.

Les matières fines de construction que l’on retrouve dans les centres de tri représentent tout ce qui est de diamètre inférieur à deux pouces. On peut donc retrouver dans cette catégorie des roches, des éclats de bois, de métal, de verre, de pvc, etc. Ces derniers peuvent être soit triés et revalorisés, ou encore servir pour du recouvrement de chantier, par exemple. Toutefois, dans ces lots qui arrivent aux centres de tri, on retrouve aussi généralement et en grande quantité des résidus de gypse (placoplâtre, nom français du fameux gyproc). Or, cette matière est réputée comme non recyclable et interdite d’enfouissement par le gouvernement du Québec. Résultat : les stocks s’accumulent, ou finissent par être disposés ou enfouis dans des sites illégaux.

« Le gypse est composé de 15 à 20 % de soufre et lorsqu’il se décompose, il produit du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz toxique qui a aussi la particularité de sentir fortement les œufs pourris. De plus, le H2S vient corroder les systèmes de captation de biogaz qui émanent des lieux d’enfouissement technique et diminue l’efficacité et la qualité des biogaz récoltés pour la revente. C’est pourquoi les résidus de gypse sont bannis des centres d’enfouissement au Québec, mais aussi un peu partout en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde », explique Jean-Simon Bussières-Dicaire, chargé d’expertise en recherche et développement chez SANEXEN.

Au Québec, selon les données de RECYC-QUÉBEC, l’industrie de la construction générerait quelque 400 000 tonnes par année de matières fines contaminées au gypse.

L’innovation de SANEXEN

Le défi que s’est lancé l’équipe de R & D de SANEXEN, il y a plus de cinq ans, n’était pas simple : faire des résidus de gypse un compost de première qualité, exempt de contaminant, et surtout sans produire de H2S. Le défi était donc, en particulier, de stabiliser le souffre afin qu’il devienne un oligo-élément recherché dans le compost au lieu qu’il se transforme en gaz, le tout en utilisant le moins d’énergie possible. Et ils y sont arrivés, le procédé étant actuellement en instance de brevet au Canada et aux États-Unis. « Plus de 95 % des résidus de gypse que nous traitons sont valorisés sous forme de compost de grade A, comme on en retrouve dans les quincailleries », affirme Jean-Simon Bussières-Dicaire.

Quelques biopiles en traitement (photo : EMM).

Officiellement en opération depuis le mois de mai dernier, le centre de traitement a obtenu de Québec un certificat d’autorisation pour traiter pas moins de 150 000 tonnes de matière par année, soit près de la moitié de ce qui est généré par année dans la province. « Comme il s’agit d’une première dans ce domaine, cela a pris deux ans avant d’avoir cette autorisation, alors que généralement ce genre d’autorisation prend six mois. Il a fallu que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques analyse en profondeur chaque élément du procédé, et il a aussi fallu innover pour tester et valider correctement l’ensemble du procédé. C’était un processus assez complexe », avance Mathieu Germain, directeur développement stratégique chez SANEXEN.

Il faut noter ici que la matière reçue par SANEXEN à Montréal-Est provient exclusivement de centres de tri.

Le procédé de décontamination retenu par SANEXEN est connu sous l’appellation de « biopiles », une approche semblable à celle utilisée pour traiter des sols contaminés aux hydrocarbures, par exemple.

La vaste superficie du site intérieur, mais aussi le fait que la structure soit couverte et très haute permettent d’exploiter des dizaines de « biopiles » en parallèle, ainsi, la matière fine ne part pas au vent, n’a pas besoin d’être recouverte, et l’air circule très bien.

Autre aspect important dans le procédé de traitement : la faible quantité d’énergie utilisée. Le système de traitement par biopile utilise principalement l’énergie dégagée par l’activité bactérienne. À cette première étape de traitement, la chaleur à l’intérieur de la biopile peut frôler les 85 degrés Celsius, de manière 100 % naturelle. « Les micro-organismes travaillent alors pour nous afin de s’assurer qu’il n’y ait plus aucun élément pathogène dans la matière. Ensuite, nous allons nous assurer de stabiliser les contaminants comme le soufre et le calcium. Dans tout ce processus, nous allons capter et traiter les gaz qui sont dégagés. Il n’y a pratiquement pas de perte ni de rejet », ajoute le chargé d’expertise en recherche et développement. Ainsi, toujours selon ce dernier, le nouveau centre de traitement peut produire du compost de première qualité en un mois et demi, alors qu’on doit compter généralement sur une période d’un an et demi, dit-il.

Les gaz qui s’échappent des biopiles sont captés par un système plutôt sophistiqué (photo : EMM).

Avenir prometteur

Le modèle d’affaires, basé sur le coût du service rendu et non sur la vente des produits résiduels (qui ont peu de valeur monétaire sur le marché), ainsi que sur une position prédominante dans ce marché, probablement bien au-delà du territoire québécois, semble porteur, confirme Mathieu Germain. « Il y a toujours la possibilité d’exploiter d’autres sites ailleurs au Québec, au Canada et aux États-Unis, et pourquoi pas dans le monde entier, mais on pourrait aussi faire affaire avec des partenaires qui utiliseraient notre procédé », explique-t-il.

L’extérieur du vaste centre de traitement, site de l’ancienne usine de tuyaux de cuivre Wolverine (photo : EMM).

L’entreprise planche sur d’autres utilisations que le compost pour la matière fine traitée, notamment des prototypes de panneaux isolants et de céramique.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *